Dans la région de la Mauricie, la régénération des espèces semi-tolérantes (BOJ, PIB, etc.) ainsi que de l’épinette rouge s’avère difficile et la possibilité en bois d’oeuvre de ces espèces ainsi que la biodiversité deviennent compromises. L’une des causes possibles serait les procédés de régénération utilisés. Traditionnellement, les options étaient dichotomiques: d’une part, le régime de la futaie régulière qui demeure risqué pour favoriser la régénération désirée et contrôler la régénération, d’autre part le régime de la futaie jardinée, qui est peu approprié pour régénérer abondamment les espèces semi-tolérantes. Or, dans la continuité de la Commission Coulombe, Forêt Québec et le Bureau du forestier en chef proposent maintenant un virage important en ajoutant l’option de la futaie irrégulière. En Mauricie, plusieurs dispositifs expérimentaux et essais sylvicoles ont été réalisés afin d’explorer différentes traitements et patrons dans ce régime. Parmi ces solutions, l’ESIP est apparue avec des objectifs de récolte clairs, mais des objectifs sylvicoles particulièrement confus. Les modalités sont simplistes, incomplètes pour la régénération et l’éducation du peuplement et les critères de performance complètement inadaptés par rapport aux objectifs de biodiversité retenus par la région. Les objectifs sylvicoles de l’ESIP ne permettent pas d’atteindre les objectifs du développement durable puisque ce traitement est principalement axé sur la récolte.
L’une des avenues les plus prometteuses, sans être la panacée est la coupe progressive irrégulière. Instaurée en Mauricie, dans la forêt mixte à bouleau jaune et dans les érablières, par CCPL en collaboration avec le MRNF et le CERFO, elle présente une souplesse d’exécution permettant de mieux répondre aux divers enjeux régionaux tels la régénération des espèces désirées, la limitation de la colonisation des espèces non désirées et l’optimisation de la croissance des tiges d’avenir. L’équilibre entre la récolte actuelle en bois d’œuvre et la production de bois d’œuvre futur devient possible. Convaincue par les succès obtenus, notamment au Lac Turcotte, la compagnie CCPL a exprimé le besoin d’explorer à grande échelle l’application de ce régime sylvicole dans une grande variété de situations. Les défis étaient de taille, tant conceptuels, opérationnels qu’humains.
Ce projet vise à permettre aux intervenants forestiers de la Mauricie de développer leur capacité à déployer une sylviculture qui soit davantage diversifiée, structurée et plus performante face aux engagements de développement durable du gouvernement du Québec (enjeux de biodiversité et de production). Plus spécifiquement, le projet explore différentes options sylvicoles non traditionnelles, inspirées des récents résultats de recherche, permettant de traiter plusieurs hectares qui seraient difficilement traitable actuellement. De plus, il expérimente en profondeur de nouveaux outils disponibles d’aide à la décision à l’étape du diagnostic sylvicole, tels la photo-interprétation fine et l’évaluation économique. La méthode de résolution de problèmes sert de démarche scientifique et l’approche d’ingénierie de processus est utilisée pour la conduite des peuplements.
Dans les UAFs 42-51 et 43-52, les prescriptions sylvicoles ont été préparées sur une superficie de 3 736 ha. Afin de faciliter la démarche de diagnostic sylvicole, des logigrammes ont été conçus et appliqués aux secteurs retenus. Ces outils d’aide à la décision décrits dans le présent rapport et élaborés à l’aide des données cartographiques bonifiées sont des clés décisionnelles qui permettent de dégrossir rapidement les familles de traitements (famille de la futaie régulière, ou de la futaie irrégulière ou jardinée) et de prioriser en premier lieu le choix de régime. Dans un deuxième temps, une démarche par résolution de problème en 6 étapes est appliquée: les données d’inventaire permettent alors de compléter et préciser le diagnostic et la prescription alors que les visites sur le terrain permettent de confirmer les modalités d’intervention et les agglomérations opérationnelles des traitements par chantier. Dans le cadre de ce projet, les marteleurs et les travailleurs forestiers ont été encadrés sur le terrain afin de s’assurer de leur compréhension et de la bonne mise en application des modalités lors du martelage et de la récolte. Cet encadrement est également obligatoire en vue de maintenir les standards de qualité élevés et d’atteindre les objectifs de conformité et de rentabilité. Enfin, dans un contexte économique difficile, cette nouvelle démarche permet d’atteindre les objectifs sylvicoles visant à installer une régénération en essences désirées, optimiser la croissance des tiges résiduelles et permettre un approvisionnement rentable.
Quelques secteurs ont présenté de grands succès : on pensera au secteur Bergeron qui a permis une récolte de 85 m3 /ha et près de 40% en bois d’œuvre, même avec les difficultés de marché pour l’érable. Mais le succès réside également dans l’établissement d’une conduite de peuplement pour optimiser la croissance, grâce à l’espacement optimal des tiges et le maintien d’un couvert protecteur pour contrôler l’envahissement de la compétition. Suite au scarifiage prévu cet année, ce secteur constituera un excellent exemple pour démontrer qu’il est possible d’intensifier la pratique sylvicole en utilisant la régénération naturelle et en maintenant, lorsque possible, l’esthétisme du paysage.
D’autres secteurs se sont avérés problématiques, particulièrement lorsqu’on retrouvait des peuplements JIN. Prévu dans les logigrammes comme pouvant ne pas être traités, les bénéficiaires avaient convenus de les inclure dans la récolte pour augmenter le nombre de m3/km de chemin. Malheureusement, l’abondance des petites tiges présentes a engendré plusieurs difficultés : coûts d’opération élevés, difficulté de mise en marché, martelage fastidieux et irréaliste et même un certain découragement des exploitants. Sans marché, l’intégration de ce type de peuplement est difficile. S’il est tout de même décidé de l’exploiter, l’option sans marteleur devrait être explorée.
Outre les différents résultats, le rapport présente des discussions et des recommandations validées collégialement lors de journées de travail. Y sont abordés les thèmes suivants: filtres, démarche diagnostique, modalités par patron de CPI, impacts du traitement, processus d’agglomération et chantier, traitements des jeunes peuplements (JIN, JIR), visite terrain pour validation, formation et suivis ainsi que le processus de déploiement en lui-même.
Quelques obstacles importants demeurent pour finaliser le transfert technologique des innovations et les actions suivantes sont proposées:
- De poursuivre le travail de sensibilisation face aux exigences de l’OIFQ et de l’AFD pour construire des prescriptions par options et argumentation.
- D’adopter les approches par chantier en planification et en sylviculture.
- De poursuivre le développement des habiletés des officiers du MRNF à prescrire dans le nouveau contexte de l’AFD par un atelier en situation réelle de travail.
- De favoriser le travail en collégialité entre professionnels, lors des exercices de planification
- D’établir des cibles précises de production par UAF.
- De poursuivre les recherches sur la régénération dans la Haute-Mauricie pour préciser les superficies où les risques d’envahissement sont majeurs et les superficies où ils sont mineurs.
Actuellement, la sensibilisation aux enjeux de biodiversité et de production, à la gestion du risque, à la démarche de résolution de problème et à une approche moins subjective et plus scientifique de la sylviculture doit être maintenue. Les difficultés économiques et de mise en marché actuel ainsi que le changement de régime demanderont plus d’imagination, de souplesse et de créativité. Le travail en collégialité et l’adoption de méthodes structurées mais souple sont certainement des pistes de solutions.