Migration assistée


Depuis quelques décennies, les climats évoluent de manière significative et les espèces locales ont parfois de la difficulté à s’adapter à ces changements. On estime entre autres que les espèces arborescentes devraient migrer d’environ 1000 m par année afin de suivre l’évolution de leur niche climatique, alors qu’elles franchissent rarement plus de 100 m/an, ce qui représente une contrainte majeure à leur adaptation (Aitken et al., 2008). Afin de favoriser le développement de forêts plus résilientes face aux changements globaux, plusieurs chercheurs et praticiens se tournent vers la migration assistée dans le but d’adapter les populations d’arbres et d’augmenter la diversité des essences forestières. Cette approche se définit comme un mouvement intentionnel des propagules d’une région à une autre afin de maintenir l’adéquation entre les conditions de croissance que connaîtront les populations d’arbres et le climat auquel elles se sont adaptées par le passé. Cette pratique a été testée et étudiée pour plusieurs espèces commerciales, mais les connaissances demeurent peu développées pour plusieurs espèces de feuillus nobles.

Figure 1: Schéma de la migration assistée (Adapté de Aitken et coll., 2016)

Une niche climatique correspond aux conditions climatiques (température maximale, minimale, précipitations en pluie, en neige, etc.) retrouvées dans l’aire de distribution d’une espèce. On suppose qu’il s’agit des conditions auxquelles l’espèce en question est adaptée et qu’en dehors de ces conditions la survie de l’espèce est compromise. Ce site présente les cartes de rusticité des plantes au Canada ainsi que les niches climatiques historiques et futures de différentes espèces nord-américaines.


Exemples de réalisations

Migration assistée du chêne rouge à Sault-au-Cochon

Depuis 2021, le CERFO s’est intéressé à cette stratégie d’adaptation afin de promouvoir la présence du chêne rouge sur un territoire. Cette espèce a été ciblée puisqu’elle détient une valeur économique intéressante, qu’elle est tolérante à la sécheresse et qu’elle se retrouve à la limite nord de son aire de répartition au Québec. Avec l’action des changements climatiques, il est attendu que le Québec offre des conditions intéressantes pour la croissance de cette espèce. Au printemps 2022, un dispositif expérimental de migration assistée du chêne rouge a été établi sur le territoire non organisé (TNO) de Sault-au-Cochon (SAC) situé dans la MRC de La Côte-de-Beaupré. Le projet visait à favoriser la diversification spécifique grâce à la régénération en chêne rouge en suivant le principe de nucléation. Ce principe vise à établir de petits noyaux d’une nouvelle espèce ou source de semences en espérant qu’elle puisse se propager par elle-même dans le reste de la matrice forestière. De plus, ce projet souhaitait tester les conditions opérationnelles les plus prometteuses pour assurer le succès de la migration assistée des feuillus nobles.


Choix des provenances

Au total, cinq provenances ont été sélectionnées pour cette étude : une située à proximité de Sault-au-Cochon et dite « locale », deux choisies spécifiquement pour correspondre au climat attendu à Sault-au-Cochon pour les périodes 2011-2040 et 2041-2070 et deux autres choisies pour être généralement plus performantes dans le sud du Québec pour les mêmes périodes . Le choix des provenances a été basé sur des comparaisons climatiques réalisées en partie grâce à l’outil SeedWhere de Ressources naturelles Canada. Dans le cadre d’un projet du CERFO, cet outil a été bonifié afin d’ajouter de nouvelles fonctionnalités facilitant le travail d’analyse. Entre autres, il est désormais possible de superposer les résultats de différentes comparaisons climatiques impliquant différents modèles et scénarios climatiques et d’en dériver un indice de risque au déploiement des semences. Ce risque est plus faible dans les endroits où on trouve une forte similarité climatique avec le lieu où seront déployées les semences et où les prévisions de différents modèles et scénarios concordent. La visualisation des niches climatiques a également été intégrée dans cet outil en plus de faciliter le téléchargement des cartes en format SIG. L’outil adapté par le CERFO est disponible ici.

Dispositif

Le dispositif expérimental est établi dans 45 trouées issues de coupes partielles réalisées en 2020 et comprend 90 parcelles de 10 m2, dont la moitié se trouve au centre des trouées (milieu ouvert) et l’autre moitié se trouve sous le couvert de la forêt résiduelle adjacente. Dans chaque parcelle, 50 glands ont été plantés (10 par provenance). Un débroussaillage a eu lieu en juin 2022 et l’ensemencement des glands s’est fait manuellement dans les semaines suivantes jusqu’au début juillet 2022.

Figure 2 : Débroussaillage

Figure 3 : Ensemencement de glands prégermés


Résultats

Après un été, il a été possible de constater que le chêne s’est installé dans la majorité des parcelles. Bien que le taux de survie ne fût pas très élevé (moins de 20%), la proportion des parcelles ayant au moins un semis établi par provenance est supérieure à 50%. Une exception est la provenance locale qui a démontré le moins de succès d’implantation avec un taux de survie inférieur à 10% et une présence dans seulement 20% des parcelles. À l’opposée la provenance ayant connu le plus de succès est celle de Wendover dans le sud du Québec avec une survie supérieure à 20% et une présence dans près de 80% des parcelles. La prédation des glands par les écureuils est une cause probable du faible taux de survie des glands puisque des traces de prédation (gland disparu ou écailles) ont été retrouvées dans près de 50% des parcelles. Certains problèmes ayant affecté la qualité des glands, dont la conservation à +3 °C pendant l’hiver et la germination hâtive combinées à la plantation tardive au printemps, ont également pu jouer un rôle dans l’obtention de ces résultats.


Conclusion

Le projet fait office d’exemple pour réaliser une migration assistée. Il a démontré qu’il était possible, grâce à cette technique, d’accroître la diversité de feuillus nobles par ensemencement. Dans le cadre de ses projets, le CERFO prévoit faire de nouveaux essais dans d’autres régions et avec d’autres espèces.

Pour en savoir plus


Sources :

Aitken, S.N., S. Yeaman, J.A. Holliday, T. Wang et S. Curtis-Mclane. 2008. Adaptation, migration or extirpation : climate change outcomes for tree population. Evolutionary Applications, 1 : 95 – 111.

Aitken, S. N., et J. B. Bemmels. 2016. Time to get moving: assisted gene flow of forest trees. Evolutionary Applications, 9 : 271–290.