L’aménagement et la sylviculture des forêts feuillues et mixtes ont soulevé de nombreuses questions au cours des dernières années. Ce questionnement n’est pas unique au Québec puisque, tant aux États-Unis qu’en Ontario ou en Europe, les spécialistes s’interrogent notamment sur la place du jardinage ainsi que sur la définition de ce qui est « jardinable » et de ce qui ne l’est pas.
Cette première phase du projet sur la problématique des choix sylvicoles des forêts feuillues et mélangées à feuillus peu tolérants a permis de retracer l’essence du traitement du jardinage par pied d’arbre à travers ses objectifs, ses concepts et ses conditions d’admissibilité. De plus, le concept de structure d’un peuplement « jardinable » et des méthodes d’analyse de la structure a été documenté, en plus de réaliser une analyse comparative des classifications ontarienne et québécoise de la notion de capital forestier en croissance (acceptable growing stock).
Le jardinage, une « forme sylvicole élaborée, géniale par son principe », est né et a été pratiqué depuis plus d’un siècle dans les forêts européennes à dominance de conifères. Progressivement, plusieurs essais ont permis d’amorcer son utilisation en forêt feuillue. Essentiellement, le jardinage par pied d’arbre vise à maintenir une production soutenue de bois de fortes dimensions et de belle qualité sur une superficie élémentaire restreinte en misant sur la régénération d’espèces tolérantes à l’ombre. Un des concepts importants associé à l’atteinte de ces objectifs est celui d’équilibre de la structure afin d’assurer un renouvellement continu des effectifs à tous les étages ou de toutes les dimensions. Ses caractéristiques distinctives sont principalement la distribution des arbres de toutes dimensions, l’occupation de tout l’espace vertical sur une surface restreinte, un rajeunissement continu et autarque ainsi qu’une individualisation de la production (par arbre). Certaines essences s’y prêtent mieux, par leur tolérance à l’ombre, leur longévité, leur capacité à produire des bois de fortes dimensions (en fonction de la station), une ramification monopodiale (dominance apicale forte) et des houppiers de taille restreinte.
L’analyse de la structure d’un peuplement, ou des essences visées dans un peuplement permet d’évaluer l’atteinte du postulat d’équilibre ou les écarts. Dans ce contexte, les critères de caractérisation de la structure les plus intéressants concernent la différenciation sociale (régularité des houppiers versus verticalisation), la dimension sociale ou formes de mélange (fins, en collectifs) et surtout la structure diamétrale. De nombreuses méthodes ont été rapportées pour décrire la structure diamétrale des peuplements et la comparer avec un état cible. Les méthodes les plus fréquentes sont la représentation graphique ou mathématique de la distribution des tiges, de la surface terrière ou du volume en fonction des classes de diamètre (2, 4, 5 ou 10 cm) ou de dimensions de bois (gaules, perches, petits bois, moyens bois, gros bois). Parmi les outils de références discutés pour établir l’état d’équilibre, on retrouve notamment : la courbe en J inversé de Liocourt (facteur q), la forme de sigmoïde pivotée (rotated sigmoid), caractéristique de plusieurs peuplements anciens (old growth), la combinaison de facteurs q, les méthodes empiriques basées sur le monitorage de peuplement (ex : méthode du contrôle) et les méthodes de simulation avec rendement économique. La définition de l’état cible est en fonction notamment des divers objectifs de production retenus, des connaissances sur les caractéristiques des forêts, de la valeur des modèles utilisés et des moyens financiers, humains et techniques de mise en œuvre.
Lors de l’analyse des strates d’inventaire pour la planification stratégique, un descripteur universel de la structure est recherché. L’application de l’outil développé utilisant la fonction de Weibull permet de discriminer sommairement la structure diamétrale des strates d’inventaire tout en y indiquant des bornes statistiques et des probabilités d’occurrence d’une structure diamétrale en particulier à l’intérieur des strates.
Lors de la prescription sylvicole, la description de la structure devrait permettre une évaluation simple et rapide sur le terrain pour orienter le travail des marteleurs. Ainsi la constitution de cas cibles (typologie) selon les types de peuplements et les stations semble des plus pertinentes. Un diamètre maximum est d’abord établi pour les essences « objectif » et pertinentes. La constitution de triangles de structure (répartition des tiges ≥20cm), s’inspirant directement de l’adaptation québécoise des courbes de Liocourt par classe de 10 cm, permettrait une première approximation. Celle-ci pourra être ajustée selon les données observées lors des suivis modélisés différemment s’il y a lieu. Les paramètres de structure verticale (ossature, sprinters et salle d’attente) sont proposés ainsi que le niveau d’agrégation (ou sociabilité des peuplements).
La comparaison des grilles de classification de la vigueur des tiges de l’Ontario et du Québec a fait ressortir un écart. La notion de capital forestier en croissance (CFC, acceptable growing stock) dans la classification ontarienne ne comprend pas uniquement la vigueur, mais aussi la qualité des tiges ou la notion de bois d’œuvre. Or, cette dernière notion n’est plus présente dans la classification québécoise de la vigueur qui a été épurée. Par contre, la classification québécoise est plus précise et plus sévère que celle ontarienne en ce qui concerne notamment l’évaluation de la dégradation des bois par les nécroses et les chancres. En plus de la notion de CFC, les critères définissant les peuplements aptes au jardinage devraient inclure une notion de quantité de bois d’oeuvre, tel que reconnu internationalement. Ainsi le seuil actuel de 9m2 /ha de vigueur minimale est inapproprié. Deux solutions se présenteraient : ajouter un seuil minimum de qualité ou augmenter le seuil de CFC pour mieux équivaloir au seuil ontarien. La quantification de l’écart entre les grilles nécessiterait l’établissement de dispositifs terrains ou l’analyse de bases de données comprenant une énumération détaillée des défauts de chacune des tiges classées selon les deux systèmes.
La prescription du jardinage nécessite un processus en deux phases. La première phase est réalisée au bureau à partir des données d’inventaire afin de guider le martelage sur le terrain (limites, points de repère, politique sylvicole d’intervention). La seconde phase nécessite une analyse contextuelle sur le terrain pour préciser les individus à enlever ou à conserver; il s’agit d’analyser l’arbre dans son contexte. La formation appropriée et la qualité du travail du marteleur sont primordiales et son indépendance est souhaitable, dans le respect des lignes guide de la première phase. Le suivi permanent (monitorage) des interventions est nécessaire pour l’amélioration continue des pratiques.
Dans le contexte québécois, le jardinage par pied d’arbre demeure un moyen applicable dans un intervalle de conditions permettant notamment de maintenir un couvert forestier en permanence. Les prochaines phases du projet sur la problématique des choix sylvicoles des forêts feuillues et mélangées à feuillus peu tolérants permettront d’identifier les options de traitements lorsque le jardinage par pied d’arbre ne s’applique pas ainsi que de poursuivre la réflexion sur les seuils économiques et écologiques pouvant guider le choix des régimes et des traitements sylvicoles et sur le processus de diagnostic sylvicole.